En 2014, SIMILES Wallonie et SIMILES Bruxelles interrogeaient leurs membres en vue de mieux connaitre leur vécu, leurs difficultés, attentes et souhaits, et ceux de leurs proches malades, dans différents domaines (habitat, statut, revenus, vie sociale…).
Vous trouverez ci-après l’analyse établie après un dépouillement attentif.
Comme vous pourrez le constater, près de 100 personnes – ou familles – nous ont répondu. C’est peu sans doute au regard du nombre de malades psychiques dans notre société et, par ailleurs, il est certain que les membres de nos associations ne constituent qu’une fort petite minorité des personnes touchées, directement ou indirectement, par la maladie d’un de leurs proches, et une minorité sans doute plus agissante que n’ont la possibilité de l’être bon nombre de ces personnes. Notre échantillon – au demeurant, aléatoire, et non scientifiquement construit – ne prétend donc pas représenter fidèlement l’ensemble de la population visée ; et il faudra veiller à ne pas généraliser trop vite les résultats obtenus.
Il n’empêche que, malgré ses limites, cet échantillon n’est pas négligeable. Si on ne s’abuse pas sur la rigueur statistique des pourcentages, les tendances révélées par les réponses peuvent donc être éclairantes quant à la réalité vécue, à des degrés divers, par un beaucoup plus grand nombre.
Informations générales
Une répartition géographique assez équilibrée
Les 92 réponses reçues se répartissent comme suit. On peut y voir une marque de l’intérêt que notre enquête a rencontré partout, mais aussi un indice que la diversité régionale des situations est bien représentée dans les résultats.
Des expériences assez longues
89 % de nos témoins sont les parents (père et/ou mère) de l’usager ; 87 % ont plus de 50 ans ; 59 %, plus de 60 ans. Du côté des usagers, 72 % ont plus de 30 ans ; et, dans 64 % des cas, la maladie dure depuis plus de 10 ans.
Ce sont donc de longues expériences de vie qui nourrissent les réponses de nos témoins. Celles-ci n’en ont que plus de poids : il ne s’agit pas de réactions dominées par l’émotion et le désarroi des débuts, mais de constats et de réflexions muris au fil des ans.
Un partage inégal entre les sexes
Notons enfin, sans pouvoir ici pousser plus loin l’analyse, un net déséquilibre dans la répartition sexuelle des usagers concernés : 63 % sont des hommes ; 37 %, des femmes.
- Habitat
Un premier constat interpelle : bien que nos usagers soient très majoritairement trentenaires (ou plus âgés), moins de 30 % d’entre eux vivent en couple ou en cohabitation ; près de la moitié sont seuls chez eux.
Cette solitude n’est cependant pas toujours le signe d’une autonomie d’adulte ordinaire :
- près de 30 % des usagers vivent encore chez leurs parents, bien que cela n’aille pas sans difficultés pour les uns et les autres : près de 60 % des parents concernés déclarent que cette situation ne leur convient pas, et un tiers pensent qu’elle ne convient pas non plus à l’usager lui-même ;
- près de 40 % des familles hébergent l’usager chez elles ou lui procurent un logement gratuit ;
- moins de 20 % des usagers ont trouvé seuls leur lieu de vie ; la majorité d’entre eux ont eu recours à l’aide de leur famille ;
- moins de 40 % des usagers entretiennent seuls leur logement ; dans un tiers des cas, la famille doit y participer.
- Enfin, un peu plus de 10 % des usagers ne sont pas domiciliés là où ils vivent actuellement.
Ils sont peu à vivre dans un logement spécifique et à bénéficier d’un soutien autre que celui de leur famille/proche pour trouver ou entretenir leur logement :
- moins de 15 % des usagers vivent dans un logement social ou un habitat groupé solidaire ;
- moins de 15 % ont bénéficié de l’aide d’un service social ou d’une agence immobilière sociale pour la recherche de leur logement ;
- moins de 20 % bénéficient d’aides familiales ou ménagères ou de titres-services pour l’entretien de celui-ci ;
- moins d’un quart des usagers ont quitté leur dernier lieu de vie par choix ; pas loin de la moitié ont dû le faire à la suite de difficultés relationnelles ou d’un manque d’autonomie.
1.1. Difficultés dans la recherche d’un logement : une offre immobilière et des services d’aide insuffisants
Sans surprise, trois obstacles sont désignés comme les plus importants ; ce sont, en ordre décroissant des mentions :
- la faiblesse des revenus de l’usager (« absence de travail ; absence de fiche de paie ; pas de garantie de revenus ; revenus insuffisants ; cout des logements privés ; prix du loyer ; ne pas avoir le statut d’isolé ; difficultés financières ; manque d’argent ; indigence… ») ;
- les effets de la maladie (« absence d’autonomie ; comportement inadapté ; instabilité ; problèmes psychiatriques ; médicaments ; manque d’hygiène et regard des autres ; discrimination des propriétaires ; plaintes adressées par les propriétaires auprès des agences… ») ;
- l’insuffisance de l’offre immobilière, qui est souvent liée à la question des revenus (« manque de logements sociaux ; manque de logements adaptés ; manque de logements à un prix abordable ; accès difficile au logement social ; longue attente pour une IHP ; absence de solution intermédiaire entre l’institution et une vie indépendante… »).
Mais d’autres éléments méritent d’être relevés :
- la réduction des allocations en cas de cohabitation, qui vient aggraver la question des revenus (« difficulté à garder le statut d’isolé ; suppression du statut d’isolé en cas de cohabitation… ») ;
- la lourdeur de certaines démarches (« difficulté des démarches ; longue attente pour un logement social personnel ; règlementation de l’AIS mal adaptée ; règlementation qui oblige à s’inscrire dans chaque AIS ; procédure annuelle à répéter pour logement social et AIS ; procédure d’entrée en IHP qui génère du stress… ») ;
- une collaboration insuffisante avec les institutions de prise en charge (« manque de concertation avec les soignants à la sortie d’une institution ; manque d’information de la part de l’hôpital pour trouver la solution la plus adaptée ; manque d’aide des services sociaux ; le service social voulait que la famille fasse tout ; manque de coordination entre les différents services… »)
- l’absence d’une aide spécialisée (« manque d’accompagnement dans la recherche d’un logement ; manque d’un service ad hoc d’accompagnement de la personne souffrant de troubles psychiques… »).
1.2. Quels facteurs sont favorables à une bonne occupation du logement ?
- un accompagnement adapté à la situation (« aide à investir son lieu de vie ; aide quotidienne, domestique, affective, sociale ; aide à la gestion financière et à l’entretien ; accompagnement psychosocial régulier ; meilleur encadrement des soins à domicile ; encadrement pour la prise des médicaments ; activités encadrées et adaptées, motivantes… »).
Aussi importante soit-elle, cette demande d’accompagnement ne devrait toutefois pas faire du logement une institution de soins. Deux autres souhaits viennent en effet la nuancer :
- se sentir libre chez soi (« c’est chez lui ; être moins seule, mais pas non plus envahie ; indépendance parentale ; liberté organisationnelle ; recevoir en toute liberté ; pouvoir fumer sans contrainte ; que personne ne lui reproche son manque d’hygiène… ») ;
- vivre dans une certaine mixité sociale (« ne pas être entouré que de patients ; beaucoup de tensions si uniquement des personnes avec des problèmes psychiques ; désir d’une mixité plus grande avec des citoyens solidaires… »).
Nos propositions
La question des revenus des usagers reviendra dans la section « revenus et statut » de l’enquête. Quoi qu’il en soit, dans les circonstances actuelles, il parait peu vraisemblable d’obtenir des pouvoirs publics une revalorisation générale des allocations disponibles. Il vaut donc mieux viser des objectifs qui semblent moins inaccessibles.
- Un assouplissement des règles relatives au statut d’isolé, de façon à favoriser certaines cohabitations sans perte de revenus. Une telle mesure pourrait avoir un double avantage : faciliter l’accès au logement privé (et donc désengorger certaines institutions, comme les IHP) en en diminuant le cout et sortir de la solitude certains des nombreux usagers qui en expriment le désir. (S’appuyer sur la décision en ce sens du tribunal du travail de Bruxelles qu’évoquait Sudinfo.be le 28 octobre 2015 ?)
- Un aménagement des conditions d’accès au logement social, de façon à ouvrir davantage celui-ci aux personnes souffrant de troubles psychiques, avec, si possible, une attention particulière aux besoins de celles-ci, spécialement en ce qui concerne :
- l’entourage relationnel ;
- l’environnement matériel (calme, sécurité…) ;
- la proximité de liens sociaux accessibles (transports en commun, commerces, possibilités d’activités…).
- Un accroissement du nombre des habitations adaptées (IHP, appartements supervisés, communautés thérapeutiques…), de façon à présenter, sur l’ensemble du territoire, une offre suffisamment diversifiée pour répondre adéquatement aux besoins.
- Un soutien public favorisant les initiatives privées du type de la Fondation Alodgî (Brabant wallon).
- Un développement de l’aide à la recherche d’un logement, de façon que les usagers ne se retrouvent pas seuls, ou sans autre soutien que celui de leur famille, face aux difficultés administratives de l’accès au logement public ou aux réticences des propriétaires du parc privé.
- Un développement de l’aide à une bonne occupation de son logement, de façon que l’usager se sente bien chez lui et que, remplissant correctement ses obligations de locataire, il incite le propriétaire à prolonger son bail, voire à ouvrir plus largement ses logements à d’autres usagers.
- Un développement de l’aide aux familles qui hébergent l’usager, de façon à leur permettre de remplir au mieux leur tâche d’aidant-proche : visites d’une équipe mobile, contacts avec les institutions de soins éventuellement impliquées, psychoéducation, aides matérielles…
- Statut et revenus
Quel est le statut social de nos usagers ? De quelles ressources disposent-ils pour assurer leur vie matérielle ? Celles-ci sont-elles suffisantes pour les rendre pleinement autonomes ou les familles doivent-elles les compléter ?… – On trouvera ci-dessous les principales réponses qu’apporte à ces questions la deuxième section de notre enquête.
2.1. Un statut d’isolé
La section habitat nous a montré qu’assez peu de nos usagers partagent leur logement avec un compagnon ou une compagne. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que 2/3 d’entre eux aient le statut d’isolé ; à peine plus d’1/4, celui de cohabitant. Ce double constat fait deviner, que, dans bien des situations, le désir d’une vie affective et sociale plus épanouie risque de venir se heurter à de sérieux problèmes de revenus.
2.2. Un accès à l’emploi problématique
Obtenir un emploi – et, davantage encore, s’y maintenir durablement – sont choses difficiles pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques sérieux. Dans notre enquête,
- près de 95 % des usagers sont actuellement sans emploi ; seules 3 personnes travaillent à temps plein, et 2 depuis plus de 5 ans ;
- près des 2/3 ont toutefois travaillé précédemment, mais, dans leur grande majorité (près de 8/10), ils ont perdu leur emploi à cause de leur état de santé ;
- environ 1/3 n’ont donc jamais obtenu d’emploi.
Interrogées sur les raisons de cette situation préoccupante, les familles invoquent trois causes principales :
- la maladie elle-même et ses différentes manifestations (« problèmes psychiatriques ; problèmes comportementaux ; difficultés de concentration ; fortes angoisses ; ne supporte pas le stress, ou les contraintes, ou le regard des autres ; instabilité ; médicaments invalidants… ») ;
- une de ses conséquences fréquentes, lorsqu’elle survient tôt : l’interruption des études et le manque de qualification (« tombé malade au cours de ses études, qu’il n’a d’ailleurs pas terminées ; pas de diplôme ; aucune qualification ; peu qualifié… ») ;
- à ces difficultés inhérentes à la situation de l’usager, quelques réponses ajoutent l’inadéquation de l’offre sur le marché du travail (« manque de possibilité de travail adapté ; peu d’emplois disponibles ; offre d’emplois inadaptée… »).
2.3. Des revenus de substitution souvent assez faibles
On devine les conséquences financières d’une telle situation :
- seuls 5 % des usagers perçoivent un salaire ; les 95 % restants se répartissent inégalement entre les principales sources d’allocations sociales : environ 1/3 émargent à une mutuelle, 1/3 au SPF Santé Publique et 1/6 au chômage ;
- dans 70 % des cas, ces allocations sont inférieures à 1200 € par mois, ce qui les situe aux alentours du seuil de pauvreté (1085 € pour un isolé, en Région wallonne) ;
- elles peuvent même descendre nettement en-dessous de ce seuil : moins de 800 € pour plus de 25 % des intéressés.
2.4. Des règles et des démarches administratives peu adéquates
Ces revenus ne souffrent pas seulement de leurs montants limités : ils sont aussi soumis à des règles et à des procédures qui, d’après nos témoins, peuvent compliquer leur obtention, voire menacer leur renouvèlement. Notre enquête abordait la question sous plusieurs angles : adéquation des démarches administratives, fréquence des contrôles, prise en compte des spécificités de la maladie… La grande majorité des témoins estiment que la plupart des démarches administratives pour l’obtention d’un revenu de remplacement ne sont pas adaptées à la situation des personnes ayant des troubles psychiques.
Des critiques générales reviennent de façon récurrente :
- ces démarches sont d’une complexité qui les rend souvent inaccessibles à des personnes de cette fragilité (« trop lourd pour une personne qui va mal : il faut qu’un autre fasse les démarches avec elle ; trop complexe ; longueur, complexité, démotivation ; complexité des textes ; il est noyé par les démarches ; il faut tout faire à leur place… ») ;
- les divers formulaires – et souvent le personnel concerné – méconnaissent les spécificités des troubles psychiques (« pas tenu compte du handicap dû à la maladie et aux effets secondaires du traitement ; incompréhension du problème et méconnaissance face à un handicap ‘invisible’ ; pas de reconnaissance des difficultés spécifiques liées à la maladie mentale ; l’intéressé n’est pas toujours capable d’expliquer ce qu’il vit ou, inversement, il parait normal lors d’une visite chez le médecin ; incompréhension des agents administratifs ; pas d’accompagnement différencié, obligations peu sensées… »).
- un questionnaire inadapté pour les demandes d’allocations de handicap (« même questionnaire que pour les handicaps physiques ; questionnaire adapté aux personnes souffrant d’un handicap physique, pas vraiment conçu pour les malades mentaux ; pas assez tenu compte du handicap psychique et de ses conséquences ; le calcul du pourcentage de handicap ne tient pas compte des spécificités liées à la maladie mentale ; le médecin n’est pas un psychiatre ; il est à chaque fois différent et ne tient pas compte des angoisses de l’usager ; il ne tient compte que des incapacités physiques… »).
S’y ajoute une réaction affective de l’usager que ne suscitent pas les autres allocations (chômage ou mutuelle): « la crainte de la stigmatisation liée à l’image du statut de handicapé ». [Bien que peu mentionnée dans notre enquête, cette réaction est sans doute assez fréquente et constitue un obstacle dans la recherche du statut durable souhaité par certains ; il faudrait à tout le moins essayer qu’elle n’empêche pas l’accès à une allocation la plus adéquate possible.]
2.5. Une méconnaissance des spécificités des troubles psychiques par les professionnels
D’après nos témoins, ce ne sont pas seulement les formulaires qui méconnaissent les spécificités des troubles psychiques : ce sont aussi, trop souvent, les divers professionnels rencontrés lors des démarches, et notamment certains médecins conseils (« le patient nie sa maladie devant le médecin ; manque de compétences des intervenants et même du médecin conseil ; médecin-conseil pas suffisamment formé ; manque de connaissance des pathologies ; incompréhension de la situation par le médecin conseil, malgré une lettre du psychiatre ; manque de connaissance et de compréhension du médecin conseil par rapport à la maladie mentale ; médecin conseil pas suffisamment formé… »).
Quelques-uns déplorent même des contradictions entre certains acteurs, voire une attitude générale inadéquate (« la mutuelle propose une inscription au chômage mais le médecin dit que l’usager est incapable de travailler ; exclue de la mutuelle avec la mention ‘incapacité de faire’ alors que, par la suite, elle a donné entière satisfaction durant ses trois stages ; démarches pas expliquées ; stigmatisation en agence, sans écoute de la démarche positive du jeune et de ses parents ; ma fille est passée devant un quasi tribunal… »).
2.6 Une sérieuse mise à contribution des familles
Dans de telles conditions, on comprend que les familles soient souvent appelées à la rescousse, non seulement (comme le montrent les quelques réponses ouvertes citées ci-dessus) pour assurer une partie des démarches administratives, mais encore pour « arrondir les fins de mois » :
- 70 % des familles complètent les revenus de l’usager ;
- pour la plupart d’entre elles, cette intervention est régulière ;
- pour près d’1/3, elle dépasse 200 € par mois ;
- dans 1/6 des cas, d’autres personnes sont encore mises à contribution.
Chacun comprend aisément les conséquences affectives et morales de la maladie mentale sur les familles, mais on en mesure souvent moins bien la charge proprement matérielle. Il faut donc souligner une dernière donnée qui vient mettre celle-ci crument en lumière : près de 40 % de nos témoins déclarent avoir subi une perte de revenus à cause de la maladie d’un membre de la famille.
Nos propositions
Plusieurs questions ouvertes invitaient à formuler des suggestions concrètes pour que le système des aides sociales soit mieux adapté aux personnes atteintes de troubles psychiques. Les réponses reçues conduisent à quelques premières propositions.
- Assouplir certaines règles relatives aux allocations sociales, de façon à garantir à l’usager :
- des revenus améliorés, si possible ; ou, à tout le moins, maintenus à leur meilleur niveau même en cas de cohabitation, par exemple (voir déjà une recommandation en ce sens dans la section précédente) ;
- des revenus plus sûrs, qui échappent aux menaces qui pèsent actuellement sur les allocations de chômage, par exemple (« abolir la dégressivité de l’allocation et les sanctions pour de telles personnes… ») ;
- la possibilité d’alterner, selon l’état de santé, inactivité, bénévolat et essai de travail rémunéré sans mettre en péril l’allocation octroyée eu égard à la maladie (« développer les possibilités de travail à temps partiel ; autoriser un emploi partiel sans perte du droit au chômage… »).
- Plus largement adapter tout le système pour mieux tenir compte des spécificités des troubles psychiques (« simplifier ; développer les possibilités de travail à temps partiel ; encourager à prendre un travail partiel si possible, mais ne pas pénaliser si ça ne marche pas ; autoriser un emploi partiel sans perte du droit au chômage ; abolir la dégressivité de l’allocation et les sanctions pour de telles personnes ; revoir le nouveau statut de l’AWIPH, tout à fait dérisoire : n’intervient plus que quand il y a un employeur potentiel ; simplifier les procédures ; accélérer la reconnaissance du handicap et simplifier les démarches administratives ; faire un questionnaire spécifique ; adapter les questions à points en fonction de la maladie mentale ; modifier les critères d’évaluation en adaptant les items au handicap psychique ; adapter les pourcentages aux incapacités psychiques… »).
- Mieux accueillir et mieux aider ce public particulier, tant pour les démarches en vue d’une allocation que pour la recherche d’un emploi (« aider administrativement ; aide d’un assistant social ou d’un psychologue bien informés ; aider à trouver un emploi en s’impliquant auprès des employeurs plutôt que par des conseils généraux du type ‘voir les agences d’intérim, apprendre les langues, refaire son CV’, que tout le monde connait ; prendre en compte le handicap psychique à égalité avec le handicap physique… »).
- Pour ce faire, (in)former les personnels concernés et les pousser à travailler en réseau («formation du personnel de l’ONEM ; information sur la maladie mentale et ses conséquences à tous les organismes en charge de la réinsertion par le travail, de l’accueil et de l’accompagnement ; travail en réseau indispensable et urgent ; informer les mutuelles sur les spécificités des troubles psychiques ; une meilleure formation des professionnels ; le médecin-conseil devrait prendre contact avec les intervenants qui s’occupent du malade ; dans le cadre des allocations de handicap, que le médecin-conseil ait des compétences en psychiatrie ; que le médecin fonctionnaire soit un psychiatre ;, voire, le cas échéant, que l’on tienne mieux compte des rapports envoyés par les psychiatres traitants… »).
- Étendre bien au-delà de la seule (re)mise au travail les initiatives en vue du rétablissement de la personne souffrante : l’usager a d’abord besoin de voir reconnues et stimulées toutes les compétences qu’il peut encore mettre en œuvre, en dehors même d’un cadre professionnel, dans des activités régulières susceptibles de le valoriser à ses propres yeux et de l’aider à faire société avec ses semblables (études ou formations, bénévolat, pratiques artistiques, loisirs partagés…).
- Développer les moyens de soutenir matériellement les familles, en particulier lorsqu’elles hébergent l’usager ou contribuent à ses revenus (une recommandation en ce sens a déjà été faite dans la section A ; autres pistes évoquées : maintien d’une allocation d’isolé pour l’usager, obtention d’un statut d’aidant-proche pour la famille, réduction des tarifs d’électricité ou de gaz…). – Il importe de souligner ici que nous ne sommes pas les seuls à attirer l’attention sur ce besoin d’aide matérielle des familles qui s’occupent de personnes atteintes de troubles psychiques : selon la récente enquête internationale EUFAMI, 62 % des témoins belges souhaitent un soutien financier. (Cliquez ici pour visualiser l’enquête)
- Rembourser les soins psychologiques aux usagers de la psychiatrie.
- Créer un statut spécifique, doublé d’une allocation garantie (« Il faut un statut spécifique à long terme, sur la base d’un avis pluridisciplinaire ; garantir l’octroi de l’allocation dès lors qu’il y a perte d’autres revenus ; l’allocation de la mutuelle devrait être accordée à tous les malades psychiques étant donné leur état de santé, qu’ils aient travaillé ou non, car la peur de l’exclusion du chômage est importante… »).
- Vie sociale et activités
En dehors d’un éventuel travail rémunéré (dont la section « Revenus et statuts » a montré qu’il était fort rare dans le public atteint par notre enquête), les usagers exercent-ils des activités régulières ? Si oui, lesquelles, dans quel cadre, à quelle fréquence et, le cas échéant, à quel prix ? Entretiennent-ils des relations avec d’autres personnes, souffrant ou non de troubles psychiques ? Au total, leur vie sociale parait-elle satisfaisante ?… – Telles sont les principales questions que posait cette dernière section. On n’oubliera pas, en lisant les résultats ci-dessous, que ce ne sont pas les usagers eux-mêmes qui y ont répondu, mais les familles : les jugements subjectifs – en particulier, de satisfaction – sur la vie sociale qu’ils laissent entrevoir pourraient varier selon les points de vue.
3.1. Des activités limitées, voire une inactivité contrainteSelon les familles, une moitié des usagers exercent des activités autres qu’un travail rémunéré. Celles-ci sont très variées. On peut toutefois relever quelques traits généraux qui dessinent une orientation dominante :
- la catégorie la plus souvent citée (environ 1/3 des cas) est celle d’une activité dans une structure de soins ;
- elle est suivie de près par le club sportif ou de loisirs ;
- par contre, les moins mentionnées sont le bénévolat (8), les études (4), la participation à une association d’usagers (3) et la formation professionnelle (1).
En moyenne, ces activités sont assez peu absorbantes : dans plus de la moitié des cas, l’usager y consacre moins de 15 h par semaine.
Elles peuvent cependant entrainer des frais que l’usager, compte tenu de la faiblesse de ses revenus propres (voir la section B), a du mal à supporter seul : dans 1/3 des cas, les familles doivent intervenir ; et aucun des quelques bénévoles n’est défrayé pour son engagement.
Dans notre enquête, il reste toutefois (à quelques unités près) une moitié des usagers qui n’exercent aucune activité autre qu’un emploi rémunéré (lequel, rappelons-le, n’est le lot que de 5 % de l’échantillon). Trois grandes raisons – qui peuvent se combiner – sont invoquées pour expliquer cette inactivité forcée :
- d’abord, dans plus de 2/3 des cas, la maladie et ses symptômes bien connus (« manque d’intérêt ; manque d’autonomie ; fatigue trop rapide ; difficultés à s’adapter ; peur des transports en commun… ») ;
- ensuite, pour une petite moitié, une inadéquation entre l’offre disponible et les désirs de l’usager (« ne trouve pas d’activités correspondant à ses envies ») ;
- enfin, les raisons financières qu’on a déjà notées plus haut et qui sont présentées ici comme un obstacle déterminant pour presque 1/3 des inactifs.
Ces trois grandes causes – qui ont toutes, peu ou prou, partie liée avec la maladie – confirment ce que l’on pouvait deviner : l’inactivité est subie, et non choisie ; avec tout ce que cela suppose de frustration et de souffrance.
3.2. Une préférence pour les milieux ouverts
Parmi les usagers qui ont des activités régulières, près des 2/3 y côtoient des personnes qui ne souffrent pas de troubles psychiques ; ils s’y sentent bien accueillis par celles-ci et préfèrent ces rencontres à celles qu’ils auraient dans un milieu spécialisé en santé mentale.
S’exprime ici un besoin fondamental de la plupart des personnes en souffrance : celui de ne pas être enfermées dans le seul univers de la maladie et des soins. On ne peut certes ignorer les problèmes que soulèvent beaucoup d’initiatives de mixité sociale : préjugés et stigmatisation chez les uns, difficultés d’adaptation chez les autres. Mais il faudra rappeler avec insistance ce besoin et s’efforcer d’obtenir qu’il soit mieux rencontré ; il y va du rétablissement des usagers, qui suppose qu’ils reprennent place parmi les autres, mais aussi d’un allègement de la charge actuelle des familles et de leurs inquiétudes pour l’avenir.
3.3. En dehors de ces activités, des relations sociales peu étendues
Un peu plus de la moitié des usagers ont des relations sociales en dehors même d’une éventuelle activité régulière ; mais il en reste 40 % qui sont dits sans relations. Et les questions ouvertes font apparaitre que, dans bien des cas, ces relations ne vont guère au-delà de l’entourage le plus immédiat (« Peu de relations sociales : se sent à l’aise dans la famille proche ; contacts avec ses voisins, sa famille et un ou deux amis ; famille, fratrie, neveux et nièces ; très peu de relations, nous accompagne chez nos amis ; quelques amis anciens, de façon occasionnelle… »). Ce qui confirme l’image de solitude fréquente déjà notée précédemment.
3.4. Une insatisfaction très largement partagée
À la lecture d’un tel tableau, on comprend que près de 80 % de nos témoins estiment insatisfaisante la vie sociale de leur proche malade. Rappelons-le pour éviter toute extrapolation trop rapide, ce sont les familles qui s’expriment ici, non les usagers eux-mêmes. Toutefois, les réponses ouvertes permettent de deviner les sentiments de ces derniers :
- il n’est pas rare que, sous l’influence de la pathologie, ils trouvent les relations sociales plus menaçantes que le repli sur soi (« il a peur des gens, se sent menacé ; elle pense que tout le monde sait qu’elle est malade… ») ;
- ils peuvent même parfois se dire contents de leur mode de vie (« lui est satisfait, mais je trouve sa vie sociale bien pauvre et bien triste… ») ;
- mais, le plus souvent, la plus ou moins grande solitude, comme l’inactivité, leur est imposée par leur état de santé (« très grande fatigue et hypersensibilité ; manque d’intérêt et instabilité d’humeur ; rythme nocturne et dort le reste du temps ; manque d’énergie… ») ; et, comme l’inactivité forcée, elle est douloureuse (« il reste seul et s’ennuie ; les jeunes, ses amis, qui ont conscience de ses troubles, s’éloignent et elle ressent une solitude croissante dont elle souffre beaucoup ; cette solitude immense est difficile à vivre : il me dit souvent qu’il voudrait être mort… »).
Nos propositions
Relations interpersonnelles, loisirs culturels ou sportifs, engagement associatif… : la vie sociale d’un individu ne se mesure pas comme son état de santé, la qualité de son logement ou la hauteur de ses revenus. Comment y définir des seuils de satisfaction pour les intéressés et, partant, des objectifs pour les professionnels (et quels professionnels ?) ou les pouvoirs publics ? Ce sont donc des propositions assez générales qui ressortent de notre enquête.
- Accroitre et diversifier l’offre de situations d’insertion sociale: dans les milieux de soins, bien sûr, mais aussi en dehors d’eux pour éviter les effets d’enfermement dans la pathologie ; et sans se limiter à la seule perspective d’une (re)mise au travail, avec ses exigences souvent insoutenables (« plus de lieux de vie où ils puissent être pris en charge ; créer des centres d’activités intéressantes ; développer davantage de lieux de rencontre avec un encadrement et des activités valorisantes ; créer des foyers proposant des activités plus intellectuelles, et peut-être orientées comme des formations professionnelles ; créer des lieux de rencontre mixtes : usagers et autres… »).
- Ménager des moments de répit pour la famille, dont les charges matérielles et affectives se trouvent accrues lorsque l’usager se replie sur elle seule (« organiser des activités récréatives le weekend pour les malades, car beaucoup de familles travaillent la semaine et aimeraient avoir la possibilité de respirer le weekend ; organiser des vacances pour les personnes ayant des troubles psychiques, avec un encadrement compétent… »).
- Mieux informer les acteurs sociaux et le grand public pour réduire la stigmatisation (« mener une campagne d’information et de sensibilisation aux troubles psychiques ; déstigmatiser la maladie mentale et psychique ; cesser de les stigmatiser comme ‘dangereux’ ou comme ‘fous’ ; tout faire pour permettre leur insertion dans les divers milieux de vie [travail, loisirs…], notamment en délivrant une information correcte sur ce type de handicap [schizophrénie, troubles bipolaires, autisme…] ; sortir du silence culpabilisant, qui finit par les nier comme personnes… »).
- Mieux aider, y compris financièrement, les usagers à accéder aux activités sociales (« développer le travail de prévention et les réseaux pour éviter les exclusions ; davantage de personnes compétentes pour aider les usagers à exercer une occupation selon leurs capacités ; une meilleure indemnité pour handicapé, car sa situation financière ne lui permet aucune occupation de ses loisirs ; assurer un revenu plus décent à la personne malade ; octroyer des avantages comme la gratuité des déplacements… »).
On le voit, certaines de ces propositions débordent le seul cadre des activités non rémunérées et rejoignent des demandes déjà exprimées dans les sections précédentes : les besoins et les préoccupations de nos témoins sont évidemment demeurés les mêmes tout au long de l’enquête.